Danse de l'inconnu (ruisseau chaleureux)

Par habitude, Béatrice s'attend à un réveil assez long, une bouche pâteuse, des bruits autour d’elle et la certitude qu’elle peut prendre son temps pour ouvrir les yeux sur un nouveau jour.
Pas aujourd’hui.
Ce matin, elle relève les yeux en plein cours de la matinée, seule et isolée sous une fine pluie qui lui glace les os, avec la certitude qu’elle est seule et perdue.

Elle se relève précipitamment, paniquée. C’est peut-être la première fois de sa vie qu’elle se réveille seule. Elle titube quelques pas, la tête aussi chancelante que ses jambes et met quelques minutes à s’orienter correctement sous le ciel. Elle qui a grandi dans la forêt s’étonne d’être face à une montagne. Une immense, gigantesque, impressionnante montagne, plus grande que son imagination. Il y a bien un arbre solitaire ici et là, mais ce qui attire son attention, ce sont les patchs de neige dans le genre de plaine où elle se trouve.
Où suis je, se demande la mule, incapable de se rappeler comment elle est arrivée ici.
Il n’y a personne autour d’elle et aucune odeur dans l’air pour lui dire qu’à part elle unae autre équidé est présent-e. Il y a par contre en direction de la montagne une dense végétation d’herbe et de plantes basses. Frémissant dans le froid, Béatrice ne met pas beaucoup de temps à réfléchir : elle se dirige là-bas. Au mieux, elle espère pouvoir s’allonger dans les herbes pour se couper du froid.
Elle ajuste rapidement son châle sur son poitrail, s’assurant que le nœud est toujours serré, remets droite ses sacoches sur son dos et au grand trot, la voilà partie.

Sur le chemin, elle essaye d’organiser ses pensées et ses souvenirs.
Béatrice a le souvenir d’une large famille, de sa naissance à aujourd’hui. Une famille soudée, aimante, pleine de joie de vivre. Elle se souvient aussi de sa mère. Impossible pour Béatrice de retrouver le nom de quiconque ou de se souvenir du physique, si ce n’est que sa mère était une jument et son père un âne ? Le reste de sa famille une mule, tout comme elle. Elle se souvient de sa propre vie, pas de doute, même si certaines zones sont floues, c’est dû à sa mémoire qui est longue, pas à une amnésie partielle. Contrairement à sa famille qu’elle semble avoir partiellement oubliée.

Béatrice grelotte de froid, mais aussi de terreur en se rappelant de la veillée funéraire. La mule a l’impression que son cœur tente de remonter dans son oesophage. Elle a perdu sa mère, c’est encore frais dans son esprit et ce qui aurait dû être une nuit de deuil et de souvenir s’est transformé en apocalypse. Béatrice a des flashs lumineux encore incrustés sous ses paupières du ciel se déchirant, la terre qui tremble et la panique de voir le chaos s'abattre sur les siens.
“ Mère Nature, faites que ma famille s’en soit sortie indemne. “ prie-t-elle futilement vers le ciel, avant de redoubler d’allure son trot.
Mère Nature est d’ordinaire clémente et bonne, mais il n’est pas rare de la voir déchaîner les éléments ou laisser la maladie l’emporter sur la vie. Mère Nature est avant tout ineffable.

Et Béatrice, d’ordinaire si sûre d’elle, est perdue.
Perdu dans un endroit qu’elle ne connait pas, mais surtout perdue dans ses propres souvenirs, incapable d’ordonner correctement ce qu’elle pense savoir de ce dont elle est sûre.
Agitée, elle finit après une assez longue route par arriver dans une zone plus accueillante : il y a de la véritable herbe touffue verte au milieu d’un champ d’herbe bruni, des touffes de plantes riches en eau, ainsi que des petites fleurs et suivant cette ligne tortueuse de vert, un ruisseau. La température est également plus agréable, douce même, loin du froid piquant des plaines presque enneigées qu’elle vient de traverser. Même la fine pluie semble absente de ce lieu, arrêté comme par magie.
La mule repasse au pas, les oreilles pivotant dans tous les sens, les yeux scannant le paysage devant elle. Elle ne voit pas de danger autour d’elle. Alors, doucement, elle s’arrête ; les sabots à quelques centimètres de l’eau.
Une eau qui s’écoule avec vivacité, mais qui semble calme. On y voit le fond, les roches colorées et arrondit par l’eau. Il y a quelques alevins et peut-être des petits poissons.

Béatrice n’a pas spécifiquement soif, mais elle ne connaît pas sa position actuelle dans le monde, alors elle pose un sabot dans l’eau et constatant que la rive ne glisse pas, elle se force à boire.
L’eau est étrangement moins froide qu’elle s’y attend. Aussi douce que la température étrange du lieu.
Curieux ... pense Béatrice, se sentant étrangement requinqué, presque ... énergisée.
De l’eau retombant de ses lèvres dans le ruisseau, Béatrice inspecte son reflet. Elle n’a pourtant pas changé, mais elle se sent ... différente.

Orchidée

Elle ne sait pas ce qui l'a réellement réveillé. La pluie fine qui forme des goutes froides ruisselantes sur ses flancs ? Ou le bruit du vent, si étrange dans l'endroit où elle se tenait il y a quelques minutes. Dans une forêt, l'on n'entend pas le vent de cette façon. On l'entend passer entre les troncs, entre les feuilles. Le vent ici semblait n'être arrêté par rien, et était froid.

Orchidée ouvrit finalement les yeux, pour voir une immense plaine. L'herbe se balançait sous ses naseaux. Elle mit une dizaine de secondes avant de se rendre compte du problème et de se lever d'un coup, regardant autour d'elle. Il y a une dizaine de minutes, enfin, il lui semblait, elle se tenait dans la forêt de son clan, les Accrux. Elle se souvient encore qu'elle charmait un immense cheval-dragon aux airs limités. Mais elle se tenait à présent ici, seule, et aux prises du vent glacial. Sa respiration s'accéléra. La jument irish faisait une crise de panique. Elle força sa respiration à reprendre un rythme plus lent, et après ce qu'il lui sembla de longues minutes, elle eut enfin le contrôle sur ses pensées et son corps.

C'est alors qu'elle décida de bouger. Après tout, ce n'est pas ici qu'elle trouverait un abri contre cette pluie et ce vent. Orchidée se mit alors à trotter dans une direction, bien décidée à retrouver son clan, ou son frère. En parlant de son frère, où est-il ? Inquiète, elle leva ses naseaux en respirant le vent, comme si elle allait sentir l'odeur de son frère ici, au milieu de nul part... Mais ce qu'elle sentit la surprit, elle sentait un autre cheval.

La jument pie alla alors contre le vent, espérant trouver cette âme vivante. Oh, pas pour lui sauter au cou. Mais à deux, ils auraient plus de chance de trouver un abri. Orchidée est profiteuse, et sait parfaitement que l'union fait la force. Après une longue marche, elle vit une silhouette au loin. Est-ce au moins un cheval ? Avec de si grandes oreilles, elle se le demandait... On aurait dit un lapin. Mais plus elle se rapprochait, plus elle devait se faire à l'idée que cette bestiole était un équidé. Ce cheval, ou quoi qu'il soit, se tenait devant un ruisseau, et alors qu'Orchidée se rapprocha, le vent et la pluie cessèrent.

"- Bonjour ! Chantonna-t-elle une fois assez proche, adoptant une voix douce et chaleureuse. C'est vraiment le bout du monde ici, non ?"

Béatrice ferme les yeux pour écouter les battements de son cœur, seul bruit qu’elle peut entendre en dehors du ruissellement de l’eau. Il y a bien d’autres bruits autour d’elle, mais elle en fait abstraction pour se concentrer en elle et chercher la cause de ce sentiment qui la tracasse. Les battements réguliers de son cœur sont rassurants dans leur régularité. Elle ne se sent pas si différente que cela, mais ... quelque chose est différent dans sa perception d’elle-même.
Cet étrange sentiment a commencé lorsqu’elle a bu l’eau de ce ruisseau. Peut-être en est-il la cause ? La température elle-même semble différente ici.
Béatrice rouvre les yeux et relève doucement l’encolure.
Avant de sursauter en entendant une voix.

La mule se tourne alors vers l’origine du bruit.
“ Wow. “ souffle doucement Béatrice en admirant une immense jument. Toisant deux têtes au-dessus de la mule qui se sent minuscule, elle qui pourtant n’est pas petite. C’est aussi la grande différence de corpulence et de crins qui donne cet effet. Heureusement pour Béa, la jument semble très avenante et Béatrice est simplement ravie de ne plus être seule.
“ Bonjour ! “ répond la mule après un petit rire gêné, dansant presque sur ses antérieurs pour se tourner tout à fait vers la licorne “ Vous m’avez surprise ! “
Elle hummume un instant en observant à nouveau autour d’elle. Certes, on voit bien la montagne d’ici, mais à perte de vue, l’immensité semble les entourés, sans signe de s’arrêter.
“ C’est une excellente description ... “ finit-elle par répondre, peu sûre de l’endroit même où elle se trouve ou de la relation du lieu par rapport à sa forêt originelle.
“ À dire vrai, je ne sais même pas où nous sommes. “ conclus la mule avec un sourire pour l’inconnue. Non pas que si elle avait su où elle se trouvait plus exactement elle aurait pensé que ce n’était pas le bout du monde : l’endroit est isolé, esseulé et vide de la moindre trace de vie. Ce n’est pas une frontière entre un monde et un autre, mais il pourrait l’être sans trop de soucis pour tout ce qu’en sait Béatrice.
Quelque peu agitée, Béatrice ne peut s’empêcher de fouiller l’air de sa queue et de presque danser sur ses postérieurs. Elle veut paraitre calme face à l’imposante jument qui semble assurée, mais la situation n’a rien de réconfortant pour Béatrice qui de toute façon est incapable de se tenir tout à fait immobile quelle qu’en soit la circonstance.

"- Je suis désolée de vous avoir surprise" Répondit Orchidée avec un sourire.

L'équidé semblait impressionnée par sa taille. En effet, la jument tinker n'était pas petite. Et cela lui donna encore plus d'assurance. J'ai l'avantage avec elle.

"- Je ne sais pas non plus. Je me suis réveillée au milieu de nul part alors que j'étais dans une forêt. Mais... Excusez ma question, mais qu'êtes-vous ? Je n'ai jamais vu un cheval avec de si belles oreilles." Demanda-t-elle avec curiosité en se penchant pour être à niveau de la tête de la jument.

Béatrice secoue la tête de gauche à droite, amusée de la situation.
“ Il n’y a pas de mal, je ne faisais pas du tout attention. “ explique-t-elle, inutile de donner l’impression à la jument qu’elle ait besoin de s’excuser davantage. C’était à Béatrice de ne pas se focaliser sur l’étrangeté du ruisseau et de faire attention à ce qu’il se passe autour d’elle, surtout quand elle ignore tout du lieu et de l’explication exacte de son arrivée ici.
Un réveil qu’elle semble partager avec l’irish cob. Curieux et un brin stressant, mais également rassurant ? Ce n’était peut-être pas la fin du monde qui s’est abattue sur Béatrice et sa famille, mais peut-être juste ... un renouveau ? Un nouveau départ forcé par des entités supérieures ? Ou juste le destin ? Le cœur de Béa se sert à l’idée de devoir refaire sa vie entièrement sans aucun repère, mais d’un côté, après la mort de sa mère (et de son père) c’est peut-être la meilleure chose qui puisse lui arriver. L’idée paralyse presque la mule un court instant, avant qu’elle ne réagisse à la question polie de la jeune jument en face d’elle.

“ Je m’appelle Béatrice, vous pouvez m’appeler Béa : tout le monde m’appelle Béa. Mais je ne suis pas un cheval, mais une mule. Ma mère était une jument et mon père un âne. “ explique-t-elle en souriant et en jouant de ses oreilles pour amuser la jument en face d’elle, contente de pouvoir au moins partager quelques informations à défaut de savoir où elles sont et comment elles sont arrivées là exactement. Ce n’est pas rare de rencontrer des équidés qui n’ont jamais croisé de mule, mais ce n’est pas non plus une habitude, mais adorant les poulains, Béatrice a appris depuis longtemps à s’amuser de ses différences de gabarit, surtout concernant ses longues oreilles arquées. Non contente d’être trois fois plus longue que celle d’un cheval, ses fines oreilles forment un parfait croissant de lune en leur bout quand elle les tient droites, c’est une caractéristique qu’elle tient de sa mère qui était une akhal teké.
“ Et vous êtes ? “ demande avec un sourire maternel la mule.

Orchidée regarda longuement les oreilles de Béa, curieuse et intriguée. Avec de telles oreilles, est ce qu'elle entendait mieux ? Elle n'avait jamais vu d'âne, mais elle se souvint en avoir entendu parlé une fois ou deux dans toute sa vie. Apparemment, c'était des petits chevaux, avec une queue moins touffue, et de grandes oreilles.

"- Je suis Orchidée, une licorne tout ce qu'il y a de plus classique." Se présenta-t-elle sommairement.

Regardant tout autour d'elle, la jument irish se demanda où était son ancien clan. Les Accrux étaient au sommet de leur force avant qu'elle ne se réveille ici. Où sont-ils tous passés ? Orchidée eut l'estomac serré à l'idée que son clan si fort puisse être détruit. Et Red ? Où était donc son frère ? Sans doute avec son idiote de jument naïve et toute fleurie. Comment s'appelait-elle déjà ? Po... Pony ? Poky. Il fallait qu'elle le retrouve. Bien qu'ils soient à présent avec des destins opposés, l'idée de perdre son frère terrorisait la jument pie.

"- Peut être que nous devrions avancer, non ? Histoire de trouver d'autres chevaux, de savoir où on est, et ce qu'il nous est arrivé ?" Suggéra Orchidée, camouflant son inquiétude grandissante.

“ Enchantée Orchidée. “ réponds en souriant béatement Béatrice, ravie de voir l’attention de la jument sur ses oreilles et fière de son petit effet, focalisant ses oreilles sur la licorne en face d’elle.
L’attention de la jument se porte sur les alentours et Béatrice pivote sensiblement sur ses postérieurs pour mieux observer autour d’elles également. Il y a ... toujours la montagne au loin, elle n’a pas bougé. Si la rivière semble bloquer la pluie, celle-ci semble continuer de tomber du ciel des deux côtés du cours d’eau. Remontant l’eau, il semble y avoir la source de la rivière et descendant, il semble y avoir un embranchement. Il n’y a pas tellement de point de repère particulier pour indiquer à Béa où elle se trouve ou là où elle ferait bien de se diriger. Si ce n’est cette immense montagne, mais Béa n’aime pas le froid et frissonne rien qu’à l’idée d’aller vers elle et le froid qu’elle offrira sans ombre d’un doute.

Béatrice hoche la tête positivement à la proposition d’Orchidée.
“ Oui, rester ici ne servirait pas à grand-chose, mais vers où se diriger ? “ questionne à haute voix la mule, curieuse d’entendre l’opinion de la jument pie. “ Peut-être en suivant la rivière dans son sens d’écoulement ? “
Ce qui est autant une proposition aléatoire, mais vers la source de la rivière semble remonter dans la montagne ... Alors que vers ce que Béa pense être l’est, cela semble moins froid. Ce n’est qu’une supposition, bien entendu, mais Béa n’a réellement aucune idée de la bonne marche à suivre, mais rester immobile ici alors qu’elle ne connait personne qui viendrait à son secours semble bien idiot, alors que marcher dans une direction semble le meilleur moyen d’apercevoir ou croiser d’autres équidés.
Peut-être qu’en avançant dans une direction, elles trouveront une meilleure idée de vers où se diriger ? Béatrice doute qu’il y ait formellement une bonne ou mauvaise réponse à ses questions.

"- Cela me semble une bonne idée. De toute façon, où qu'on aille, on sera toujours autant perdues."

Dit simplement Orchidée, réfléchissant tout en parlant. Elle regarda vers l'aval du ruisseau. Il semblait s'étendre à perte de vue. Mais au moins, en suivant son cours, on aura l'occasion de trouver d'autres chevaux venus se désaltérer. Pensa la grande jument pie noire. D'un mouvement de tête ample, elle invita sa camarade de route à la suivre.

"- Alors en avant compagne de route ! Avec de la chance, on retrouvera nos familles."

Béatrice laisse échapper un petit rire.
“ Perdue peut-être, mais en bonne compagnie ! “ souhaite la mule perlino, car si elle ne connaît pas encore Orchidée au-delà de son nom, elle espère sincèrement que le caractère sympathique et facile de la jument ne soit pas que par politesse due à leur rencontre.

L’imposante jument l’invite d’un mouvement de tête à la suivre et Béatrice n'attend pas pour se lancer dans un petit trot rassemblé pour rattraper Orchidée, puis se mettre à son côté. Elle pourrait repasser dans un pas rapide pour rester à son allure (Béatrice a de plus petites jambes que l’Irish cob), mais Béatrice, en bonne frileuse qu’elle est, a peur d’attraper froid et préfère donc trottiner pour rester au même niveau que la jeune jument.
Il y a aussi le fait que Béatrice est un brin soucieuse de ce nouvel environnement qu’elle ne connaît pas et elle a un besoin impétueux de brûler un peu d’énergie pour retrouver son calme. Ou au moins, un peu de calme.
Beaucoup de choses se bousculent dans la tête de la mule. Sa situation avant la tornade qui l’a déposé ici, le fait qu’elle soit perdue, le fait qu’elle n’arrive pas à se souvenir du nom de sa défunte mère ni du nom des autres membres de sa famille. Ce manque de souvenir la dérange et la met mal à l’aise.
“ Je doute de retrouver la mienne. “ souffle Béatrice après un long moment de silence. C’est un aveu, mais elle ne désire pas s’épancher dessus, elle veut juste éviter qu’Orchidée l’aide à chercher une famille qu’elle est profondément convaincue d’avoir perdue. Même si elle ne sait pas d’où lui vient cette conviction.
“ Vous sauriez décrire votre famille ? Peut-être que je pourrais vous aider à les apercevoir. “ propose-t-elle, prête à rendre service et surtout, à s’occuper utilement l’esprit et à ne pas se morfondre sur sa situation.

"- Oh, c'est bien triste cela."

Si Orchidée était sensible à quelque chose, c'est bien à l'amour qu'un cheval peut ressentir pour sa famille. Elle était elle-même au courant de cette attachement, et savait le respecter. Elle fut remplie d'allégresse quand Béatrice se proposa à l'aider à retrouver Red. Finalement, elle l'appréciait plutôt bien cette drôle de petite jument. La jument pie noire se promit, tout en secouant sa crinière pour déloger les gouttes de pluie, qu'elle n'allait rien faire à cette équine si particulière. Il se pourrait même qu'elle soit heureuse de la retrouver un jour prochain !

"- Ma famille se compose d'un seul cheval, mon demi-frère, Red. Une licorne alezane, aux airs de cheval léger, avec des yeux bleus, et une cicatrice qui lui barre un œil." Expliqua-t-elle, avant de demander : "Et votre famille ressemble à vous ?"

Béatrice secoue une oreille pour toute réponse.
Triste, peut-être.
Totalement, en fait.
Béatrice est attristée par l’idée de ne pas revoir sa famille et chagrinée de ne pas réussir à mettre le sabot sur cette certitude. C’est confus dans sa tête. Elle sait que ses parents sont morts. Mais qu’en est-il de ses sœurs et de ses nièces et neveux ? Pourquoi est-elle persuadée qu’elle ne les reverra jamais ? Béatrice ne s’explique pas ce sentiment. Pas plus qu’elle ne s’explique cette incapacité à mettre des noms sur des visages de sa famille.
S’attarder sur ces faits ne l’aidera cependant pas le moins du monde alors elle se contente de sourire doucement en trottinant au côté d’Orchidée, observant mollement les alentours et en écoutant la description du demi-frère de la jument.
Béatrice hoche la tête en rangeant l’idée qu’elle se fait de l’étalon dans un coin de son esprit.

“ Hm. “ fredonne Béatrice pour gagner quelques secondes et organiser un peu son image mentale de sa famille pour répondre à Orchidée. “ Pas vraiment ? Je viens d’une grande famille. “ commence-t-elle avec un petit rire.
“ Papa était une licorne, oui, mais un âne avant tout. Maman était une licorne et une jument. J’avais aussi six tantes par ma mère, toutes des juments. Je crois que papa avait quelques adelphes ? Mais on a connu qu’un seul oncle de ce côté de la famille. Je n’ai que des sœurs : toutes des mules comme moi ! Six grandes sœurs et deux petites sœurs. Presque toute on déjà eut unae ou plusieurs enfants, la plupart des licornes également, la plupart ressemblant plus à des chevaux qu’à des mules, mais j’ai une de mes soeurs qui a eu un poulain avec un âne, ce neveu est donc plus ressemblant à un âne que mes autres nièces et neveux. “ explique-t-elle succinctement. Dans le cas de Béatrice, “ grande famille “ n’est pas une façon de parler, puisque Béatrice connaît également une grande partie de ses cousin-e-s. Il y a aussi, forcément, les enfants de ses cousin-e-s. Et dans tout ce méli-mélo de visages dont se souvient Béatrice, elle n’arrive pas à se souvenir du nom de quiconque et elle n’a qu’une vague impression du visage de la plupart des membres de sa famille. Elle n’arrive qu’à se rappeler précisément que du visage de ses parents et sœurs. Ses nièces et neveux sont des images intangibles. Et les conjoints de ses sœurs ? Des idées imprécises.
Béatrice sait pourtant qu’elle a une bonne mémoire, pas la meilleure, certes, mais suffisamment bonne pour auparavant savoir naviguer dans les descriptions et noms de sa propre famille.
Béatrice repasse au pas et grimace, cherchant à agiter sa mémoire à la recherche de bribes d’informations complémentaires.
Son incapacité à s’en rappeler l’énerve et elle secoue la queue en tirant la moue.

Béatrice semblait bien soucieuse en décrivant sa famille, et Orchidée mit le sabot sur un problème plus profond. Se pourrait-il qu'elle aussi, ait des sortes de trous de mémoire ? Orchidée se souvenait de leur famille, avec Red, mais impossible de se souvenir d'un physique, ou d'un nom. Pareil pour sa vie chez les Accrux. Certains noms étaient effacés, certains physiques aussi.

"- Pour vous aussi, c'est compliqué de se rappeler de certaines choses ?" Demanda-t-elle doucement, ce qui ne lui ressemblait pas.

Béatrice trébuche en entendant la question, anodine dans sa forme, mais pourtant alarmante d’Orchidée. Oh, pas de beaucoup, Béatrice reprend le contrôle de son postérieur immédiatement et ne loupe qu’une foulée, mais c’est suffisant pour lui agiter le cerveau et la faire repasser au trot, toute agitée qu’elle est.
“ Aussi ? Hein ? “ demande-t-elle sans véritablement attendre de réponse.
Cette formulation bien précise laisse entendre qu’Orchidée non plus n’a pas toute sa mémoire, qu’elle aussi n’arrive plus à se rappeler de certaines choses importantes. Si c’était des choses sans gravités qui ne revenait pas à sa mémoire, elle ne l’aurait pas signifié à l’inconnue qu’est encore Béatrice, mais la question en elle-même couplée à la façon douce, presque timide de la demander laisser comprendre à la mule qu’Orchidée a subie la même chose qu’elle. Pas que ce déplacement inexpliqué dans leurs sommeils, mais également un triage des souvenirs avec certains devenus ... pour le moins nébuleux et insinuants que certains souvenirs ont simplement disparu.
L'idée est alarmante et Béatrice grimace.
“ Certaines choses sont confuses, mais il y a les noms de ma famille ... Je sais que je les connais, c’est MA famille. Je connais leur nom ... Et ... Je n’arrive pas à les retrouver ? “ confie-t-elle en tentant d’offrir un sourire rassurant à la large jument pie noire, mais n’arrivant qu’à offrir un sourire grimaçant et incertain, avant de détourner le regard. “ C’est à se demander ce que je me souviens exactement, si je ne reconstruis pas certains souvenirs, si ... Est-ce que Béatrice est bien mon nom ? Est-ce que j’ai vraiment perdu ma famille ? Je suis certaine, vraiment certaine que je ne retrouverais pas ma famille et que je n’invente pas ce que je me souviens, mais ... Qu’est-ce qui me fait penser ça ? “ vocalise-t-elle, le regard perdu juste devant ses sabots, sans vraiment voir le sol.

"- Il serait possible que vous étiez séparés avant même que vous soyez ici ?"

Demanda Orchidée, les oreilles pointées vers Béatrice. Bien que sa voix paraisse douce, il n'y avait pas tant d'émotions que cela. Face à la mort, la grande jument pie réagissait bien différemment des autres chevaux. Elle n'éprouvait aucun remord, aucune tristesse. Juste un vide, constant et permanent, voir une allégresse. Heureusement, elle savait le camoufler quand il le fallait.

"- Peut être que notre réveil ici, et nos pertes de mémoire sont liées. Après tout, je ne me souviens d'aucun éléments qui justifieraient cela. Je me souviens que d'une brume, et de mon réveil. Il y a beaucoup de choses magiques dans ce monde. Un énième ne serait pas étonnant."

Béatrice hoche la tête. Si sa certitude de ne pas pouvoir revoir les membres de sa famille n’est que cela, une certitude et non pas des souvenirs, il y a dans le brouhaha que sont ces évocations une chose dont elle est sûre.
“ Mère est morte il y a quelques jours. Je sais qu’on s'était réuni pour la veillée funéraire. Je sais que pendant il y a eu ce ... cataclysme, des éclairs, le brouillard et une cacophonie de hurlements. Si ma perte de mémoire n’est pas liée à ça, mon esprit a peut-être juste été traumatisé et décidé de me faire oublier. Dans tous les cas ... “ sa voix se brise, mais la mule continue de trotter nerveusement aux côtés d’Orchidée.
“ Dans tous les cas, je sais que je ne les reverrais pas. “ conclu-t-elle finalement en souriant tristement, grimaçant presque.
La situation exacte la dépasse. Les dépassent sans aucun doute. Mais ressasser tout cela en boucle, sans élément nouveau, ce n'est pas franchement une bonne idée. Au moins, Béatrice n’est pas la seule à être perdue. Au moins, les deux juments bougent et affrontent la situation. C’est tout ce que peut faire Béatrice : avancer.
Orchidée a raison : un énième événement magique ne serait pas étonnant.
“ Sans doute. L’eau du ruisseau elle-même est ... étrange. Réconfortante ? Je ne sais pas le goût de la magie, mais si je devais lui imaginer un goût, je suppose que je lui donnerais l’eau de ce ruisseau. “ explique Béatrice, en se léchant l’intérieur de la bouche. Elle a encore le goût étrange, mais pas désagréable de l’eau qu’elle a bu juste avant l'arrivée de la grande licorne bicolore.

"- Cela est bien triste."

Conclut Orchidée, essayant de prendre une voix désolée. A l'évocation du cataclysme, des images floues vinrent dans l'esprit de la grande jument pie.

"- Je crois... que je m'en rappelle aussi, de cet apocalypse. Tout est flou."

Après les paroles de Béatrice, Orchidée regarda un instant le cours d'eau. Le goût de la magie. Cela semblait irréel pour Orchidée. Peut être encore un de ces cours d'eau béni par des dieux ou des anges. La simple pensée fit rouler des yeux à la jument pie. Elle s'en souvenait bien, des anges, essayant de combattre les Accrux lors de la guerre ayant précédé le cataclysme. Nombre de ses camarades étaient morts sous leurs coups. Elle ne les portait pas dans son cœur.

"- Peut être encore un cours d'eau béni par je ne sais quelle entité immortelle." Marmonna Orchidée

Orchidée ne semble pas exactement désolée, sans doute encore perdue dans sa propre perte.
Béatrice hoche nerveusement le bout du nez.
“ C’est ce qu’il en est. Je suis plus perturbée par le Cataclysme que par le fait que cela est interrompu notre veillée. Mère n’était plus jeune, toute la famille s’y attendait. “ note distraitement la mule. Elle n’est pas insensible à la mort ou à la perte de sa mère qui l’attriste, mais ... La mort fait partie intégrante de la vie et la mère de Béatrice n’était pas jeune ou triste à l’idée de quitter le monde des vivants. Oh, sa septième fille se doute qu’elle avait des regrets, mais, la mule perlino sait qu’elle sera morte heureuse.
Béa’ est surtout soulagée que sa mère soit partie dans son sommeil et bien que d’une santé déclinante, n’ait pas souffert.
Si Béatrice est donc triste, c’est surtout la perte de sa famille en pleine santé et pour la plupart de ses membres pleins de jeunesse encore qu’elle est attristée.

La perlino s’ébroue soudainement, chassant métaphoriquement le sujet de sa tête, avant de faire quelques foulées de galop pour retourner auprès d’Orchidée.
Arrivée au niveau de son épaule, la mule passe dans un pas actif pour rester à son niveau, ne désirant plus brûler son énergie nerveuse dans un trot : elle est maintenant plus calme d’avoir pu aborder le sujet.
“ Hmm ? “ interroge sans mot la mule en ne comprenant pas tout le propos marmonné de la grande jument. “ Par les divinités ? “ demande-t-elle après quelques instants à tenter de comprendre ce que veut dire par-là sa compagne de route.
Béatrice jauge le ruisseau plein de magie.
“ Peut-être. “ répond-elle après un long moment de réflexion avec un sourire timide. Son esprit n’est peut-être plus agité et elle a peut-être chassé la tristesse de son esprit, mais la sensation d’être perdue et seule encercle encore un peu son âme.
Béatrice resserre presque mécaniquement son châle autour de son encolure de mouvement vif de dent, avant de regarder devant elle le paysage.
Devant elle, le ruisseau semble se séparer en deux cours d'eau. Enfin, un affluent descendant de la montagne rejoint le ruisseau plus exactement. Le ruisseau, plus large après cet embranchement, semble continuer vers l’est.
“ Je me demande ce qu’on trouvera à l’est. “ pense à haute voix la mule, histoire de changer la discussion vers d’autres sujets.

"- Ce monde est rempli de chevaux pratiquant une magie céleste, ou plus démoniaque. Peut être que si ce ruisseau semble si plein de magie, c'est à cause des anges, ou d'une divinité au dessus d'eux. J'ai du mal à croire qu'un tel cours d'eau puisse être naturel."

Expliqua Orchidée en regardant le ruisseau, semblant s'écouler sans se soucier des paroles de la grande jument pie noire. Elle voyait les anges comme des bienheureux. Après tout, qui d'autres se soucierait de bénir un pauvre ruisseau que des chevaux n'ayant rien d'autre à faire que chasser des papillons ? Elle renâcla, cachant sa haine de cette espèce de chevaux. Ses souvenirs de la guerre était trop cuisants, trop précis pour qu'elle pardonne. Alors que les deux juments arrivèrent devant l'embranchement, Béatrice pensa à haute voix en regardant au loin, là ou le cours d'eau allait.

"- Eh bien, on ne le saura qu'en continuant, je suppose."

Plus loin devant elle, Orchidée arrivait à distinguer une chose, à l'horizon. Des sortes de montagnes jaunes, semblant s'étendre à perte de vue.

"- Je ne sais pas toi, mais ça m'a l'air pas accueillant là bas."

Béatrice n'attendait pas spécifiquement de précision, ainsi est-elle agréablement surprise qu'Orchidée prenne la parole pour lui expliquer. Si son ton semblait à la surface quelque peu détaché, la mule pense y voir une certaine rancoeur. Pourquoi ? Béa' jauge qu'elles ont déjà suffisamment parlé de sujet fâcheux pour ce jour, qui plus est pour une première rencontre, mais son instant maternel lui murmure d'en demander plus et de trouver un moyen de réconforter la grande jument.
Orchidée semble indépendante et forte psychiquement, en plus d'avoir un physique qui ne donne pas envie de la confronter, mais il semble y avoir sous tout cela quelque chose qui appelle Béatrice à vouloir la couver.
Des anges cependant ... ? Ce n'est qu'un simple ruisseau, pas quelque chose qu'elle voit des entités divines s'occuper, mais en effet, l'eau avait un tel goût qui n'était certainement pas naturel.
Pourquoi ? se demande intérieurement une nouvelle fois la mule : cela semble être la question du jour. Mère Nature, les Anges, des Démons sans doute, quel qu'en soit le nom, Béatrice ignore si leur existence est véridique, mais si avant ce cataclysme elle avait quelque doute, cet évènement tragique et cette eau lui laisse prédire qu'ielles doivent bien exister.
Espérons que je n'en croise que des bienveillants, songe-t-elle.

Béatrice rit de bon cœur en entendant Orchidée préciser l'évidence.
" Tu as raison. " s'amuse-t-elle " Au moins, en suivant cette rivière on reste à température ambiante et pas dans le froid. "
Ce n'est pas pour rien que Béatrice ne se sépare que rarement de son châle : elle est frileuse. La rivière et ses berges sont cependant à une température acceptable : pas trop chaude, pas trop froide. C'est un contraste intéressant avec les alentours de la rivière qui semble plus fraiche et plus désertique. Sans doute moins froid que la montagne bien au nord que la mule surveille vaguement depuis son arrivée, mais une température trop basse pour le confort de celle-ci tout de même.
Orchidée la fait cependant regarder droit devant elle. De l'endroit où se trouvent les deux juments, elles peuvent apercevoir d'étranges montagnes. Ce ne sont pas spécifiquement leur forme qui est étrange (quoiqu'un peu différente de montagne plus classique), mais plutôt leur couleur jaune. Ce n'est pas commun et la curiosité de Béatrice l'emporte sur son instinct qui lui dit de se méfier de ce qu'elle ne connaît pas et des dangers qui peuvent s'y trouver.
" Oh. Des montagnes jaunes ! " s'étonne-t-elle donc à haute voix, son allure accélérant sensiblement pendant qu'elle plisse des yeux pour chercher à en voir plus.
" C'est toujours plus accueillant que la grosse montagne enneigée au nord. Enfin, ce que je pense être le nord, c'est peut-être le sud. Enfin, cette montagne avec de la neige a l'air encore moins accueillante. Je me demande pourquoi c'est jaune ... " saute-t-elle du coq à l'âne pour toute réponse. Elle a grande envie de partir au-devant de la licorne bicolore pour atteindre plus vite cet endroit qui l'intrigue et Béatrice semble presque vibrer sur place tant cela la démange, même si elle veut rester au côté de sa compagne de route.