À l'ombre des nénuphars | Cassandra (la mare aux nénuphars)

Le vent chaud de l’été souffle dans ta crinière. Tu te tiens fier dans la prairie et contemples le panorama qui s’étend devant tes yeux. À tes côtés se trouve ta famille. Tu es heureux de les savoir ici avec toi, pour toujours.

Pour toujours ?
Non.

Soudain, le brouillard emporte tout sur son passage.

***

L’étalon, allongé sous un arbre se réveille en sur-saut. Encore ce rêve …
Il faut quelques secondes à Spirit pour revenir à la réalité. Le monde qu’il a connu enfant n’est plus et sa famille a disparue. Depuis des jours il marche en direction du Sud, porté par l’espoir de les retrouver. Où peuvent-ils être ? Pourquoi tout est si différent ? Tant de questions et si peu de réponses.
Le mâle se tourne pour observer le ciel et soupire.

— Au moins il fait beau.

Déterminé a ne pas se laissé abattre, Spirit se redresse puis s’ébroue, faisant tomber de son pelage les brins d’herbes. Un rapide coup d’œil autour de lui afin de s’orienter et le voila qui reprend sa marche dans la jungle.

Les heures passent lentement. Avancer dans une telle épaisseur de végétation n’est pas une chose simple. Plus d’une fois, Spirit manque de trébucher sur une racine ou s’empêtre dans des lianes. La chaleur, elle, est étouffante et l’humidité lui colle au poil.
Peu habitué à ce type d’environnement, l’équidé s’épuise vite. Il a besoin d’une pause. Justement, un bruit familier fait pivoter ses oreilles. De l’eau. La licorne se laisse guider par le son et arrive jusqu’à une rivière qui vient se jeter dans un vaste trou d’eau. À la surface de large feuilles rondes et des fleurs roses. Sous l’eau de nombreux poissons capturent des insectes qui se tiennent à la surface. Hormis les quelques moustiques qui viennent titiller la croupe de Spirit, l’endroit est accueillant.
Délicatement, il s’enfonce dans l’eau claire.

Un éclat de rire aigu retentit au même moment qu’une gerbe d’eau écarte plusieurs nénuphars. Perdue au milieu de l’eau, une grenouille fuit, terrorisant sur son passage nombre de têtards et de petits poissons.
Le rire arrête de sonner aussi rapidement qu’il a éclaté, remplacé par des bruits de bulles.
Des bruits d'eau se font entendre autour de la mare au nénuphar.

Au milieu de tout ce remue-ménage, une petite long’ma nage après un poisson. Plus coloré que la grenouille qu’elle poursuivait il y a quelques instants, le poisson est aussi plus rapide dans l’eau et donc plus intéressant à suivre, zig et zaguant entre les racines des grandes feuilles.

Cass ne sait pas vraiment comment elle a débarqué dans une jungle. Ce qu’elle sait c’est qu’elle a trouvé de l’eau et bien que l’humidité ambiante était agréable, une profonde envie de nager l’a pris. C’est comme cela qu’elle s’est retrouvée à batifoler dans l’eau, effrayant toute la population locale.
Il faut aussi dire que marcher avec toute cette même végétation qu’elle adore admirer et ses racines lui est très compliqué. La randonnée et la marche n’ont jamais été son fort.
Après une longue course poursuite, Cass finit par perdre de vue le poisson et elle pousse un soupir. Son instinct de chasseuse est satisfait. Pour le moment. Elle observe quelques instants les bulles remonter vers la surface, reflétant quelques éclats de soleil.
C’est une excellente journée pour rester sous l’eau  :  la jungle est verdoyante, pleine de fleurs et plantes, le soleil perce au travers de la canopée, il y a une foultitude d’animaux avec qui jouer sous l’eau. Pourtant, allongée sur le dos au fond de la mare, les barbillons étendus lascivement autour d’elle, Cass se sent insatisfaite. Peut-être parce que cela fait maintenant quelques jours qu’elle n’a pas croisé de chevaux ? Elle a inventé plusieurs nouvelles façons de jouer aux poissons-chats et aux guppys avec la faune locale, à observer sous divers angles bien des plantes qu’elle ne connaissait pas, mais ce qu’elle désire, c’est la compagnie d’un autre équidé. À ce stade de solitude, même un poulain lui conviendrait, c’est dire !

Perdue dans ses pensées, elle ne remarque pas immédiatement un mouvement dans l’eau. Ce n’est que quand une vague plus forte que le courant de la mare la fait sensiblement pivoter sur le flanc qu’elle se rend compte qu’elle n’est pas seule. Un grand prédateur ? Cass se redresse dans l’eau, les barbillons en parabole autour d’elle pour capter les vibrations et en quelques mouvements, elle fait face à l’intrus qu’elle a repéré. Enfin, ses membres.
Elle glapit de joie, sa vocalisation sous l’eau faisant remonter à la surface quelques bulles.

La chasse peut repartir. Cette fois-ci, sa proie est un équidé. L’eau est suffisamment claire pour que la jument aperçoive des membres noirs, avec un peu d'agoutis. Immobile, toute son attention est portée sur l’inconnu qui doucement, s’enfonce dans l’eau. Bientôt, son poitrail est dans l’eau. Stabilisé par sa queue, Cass a replié ses membres pendant ce temps et ondule doucement vers l’équidé. L’eau ne remue pas, si ce n’est que par les mouvements des poissons chassant des moustiques et vers rouges à la surface de l’eau, l’aidant à dissimuler son propre mouvement.
Arrivée à hauteur du cheval, elle sourit et, délicatement, effleure de sa queue un antérieur.
S’attendant à une réaction de peur, elle s’écarte en un coup de queue, la reportant juste assez loin pour ne pas se prendre un coup de sabot. Impatiente, Cass ne songe même pas à prolonger sa chasse et d’un coup de sabot sec contre le fond de la marre, remuant la vase et le sable s’y trouvant, elle bondit hors de l’eau vers l’inconnu-e.
“ Touché ! C’est toi le poisson-chat ! “ hurle-t-elle en lui touchant l’épaule du bout du nez, avant de replonger dans l’eau, créant un raz de marré dans sa fuite aquatique.

Cet après-midi, la jungle chante. La mélodie des oiseaux cachés à l’ombre de la canopée se mêle au bruissement des feuilles dans le vent. Le clapotis de l’eau rythme le coassement des grenouilles et les stridulations des insectes. Spirit, silencieux, profite de ce concert que lui offre mère nature. Les quatre sabots dans l’eau, les yeux clos, il se laisse bercer. L’endroit est si paisible qu’il en oubli ses tracas. Un fin sourire se dessine sur son museau.

Un sourire rapidement balayé par une expression de surprise peu contenue.
Quelque chose vient de le toucher sous l’eau.
Cet inopiné contact le sort de sa rêverie. Était-ce un poisson ? Non, cela ressemblait plus à un serpent. Un gros serpent. L’idée de barboter avec un reptile ne rassure pas la licorne qui abandonne sa contemplation de la nature pour se concentrer sur les silhouettes qui dansent sous la surface. Bien que l’eau soit claire, il n’est pas évident de savoir ce qui peu se cacher en dessous des larges feuilles des nénuphars.

Spirit fixe le fond de la mare, les yeux plissés. Il penche sa tête de plus en plus bas, à la limite que son menton ne touche l’eau. Une seconde plus tard, il échappe un hennissement de stupeur en s’écartant brusquement sur le côté. Une bête vient presque de lui sauter aux naseaux avant de disparaître aussi rapidement qu’elle n’est apparue. Il faut un moment au mâle hébété pour comprendre ce qui vient de se passer et pour calmer son rythme cardiaque. C’était … un hippocampe ? Reprenant ses esprits, Spirit garde un œil sur le nuage de sable provoqué par la créature dans sa fuite et rembobine la scène. Sa voix était féminine et enfantine. Elle l’a invité à jouer à son jeu.

La licorne se sent soudain un peu idiot d’avoir eu peur. Il se racle la gorge et redresse la tête pour gonfler son égo piqué à vif. Puis, sa corne tournée vers le ciel Spirit se concentre. La magie se met à onduler, tournoyant autour de sa corne avant de descendre dans l’eau. Enfin, l’esprit se manifeste. Le poisson éthéré, d’un coup de nageoire, nage en suivant la traînée de sable et de vase laissée par l’inconnue et se faufile avec aisance entre les plantes aquatiques.
Les yeux emplis de malice de Spirit suivent la douce lumière bleue de l’esprit. Avec ça il est au même niveau que cette petite jument espiègle.

Cass hurle de rire sous l’eau, laissant échapper des bulles qui rejoignent celles plus petites que ses mouvements créés. Sa fuite est non censé, mais son adrénaline est haute. Pour le moment, sa fuite est une réussite  :  personne ne l’a touché. Elle risque un regard vers l’arrière et sursaute. Dans l’eau il y a un poisson de lumière bleu ! Cass glapit de rire, surprise, mais enchanté par la vision et fait double-face pour aller observer la chose de plus prêt.
Bien sûr, elle avait déjà oublié la présence du cheval.
Qui suit de près l’étrange poisson. Qui doit être le sien, conclu en une demi-seconde la Long’ma qui bondit à la surface de l’eau.
“ Ton poisson est super classe ! “ complimente-t-elle en un souffle, avant de retomber lourdement dans l’eau sur le dos. Tel un dauphin, elle est déjà en train de tournoyer sur elle-même dans l’eau et se propulse plus loin dans la direction initiale de sa fuite. La mare n’est pas infinie et avec un poursuivant hors de l’eau et un autre dans l’eau (qui éclaire son chemin), Cass soupçonne que le jeu se retournera rapidement contre elle, mais pour le moment, elle est ravie d’être poursuivie.
Surtout qu’elle a l’avantage du terrain  :  elle est là depuis le milieu de la matiné et a exploré la marre dans tous ses recoins.
Profitant de son avantage aquatique, elle plonge plus profond et d’un antérieur, remue la vase pour crée un nuage et fuir plus loin, bifurquant d’un coup de queue pour tenter de perdre son adversaire. Riant de son intelligence, des bulles remontent à la surface de l’eau cependant.

Après un long moment à jouer dans l’eau, Cassandra doit se rendre à l’évidence : elle a tellement bien semé son partenaire de jeu qu’elle l’a perdu ! Elle sort brusquement la tête de l’eau.
Il était pourtant derrière elle ? Elle ne nage pas si vite que ça, si ? La long’ma est partagée entre la fierté d’être plus rapide dans l’eau qu’elle ne le songeait et la déception d’avoir perdu l’inconnu. Elle s’amusait si bien ! Pourtant, hors de l’eau, rien ne bouge suffisamment pour trahir la présence d’un autre équidé. Immobile, elle observe les alentours, mais même l’eau semble plus terne sans la présence du poisson de lumière.

Assez rapidement, Cass replonge dans l’eau et nage vers l’endroit qu’elle pense être celui où elle a rencontré l’étranger.

Après un certain temps de recherche à appeler en vain quelqu’un dont elle ignore le nom, Cassandra souffle de frustration sous l’eau. Non seulement cela a mis fin bien trop vite à son amusement, mais c’était aussi le premier équidé qu’elle rencontrait depuis son arrivée étrange sur ce territoire, le premier équidé depuis la fin chaotique de sa vie (presque) tranquille avec Hildegard. Faisant la moue, la long’ma verte finit par sortir de l’eau et s’ébrouer. Oreilles en arrière, Cassandra foudroie presque du regard l’eau qui a perdu tout attrait si elle ne peut plus jouer dedans.

Un bruit au loin la fait se redresser. Il y a le cri d’un animal qu’elle ne connaît pas dans la jungle. Souriante, elle commence donc une lente démarche qui implique beaucoup trop de mouvement de membres vers le bruit.
Cassandra repart explorer la jungle !