Infectée par l’endroit où je vis

Hildegard rumine. Inlassablement. Grommelant presque inaudiblement. Dans ce torrent d’injures, on peut l’entendre prononcer le nom d’Ara. Parfois, elle soupire et on peut l’entendre prononcer le nom de Fall et Bloom avec moins de véhémence.
Intimidation. Inquiétude. Détermination. Énervement. Lassitude. Espoir. Désespoir.
Dans ce maelstrom de sentiment, Hildegard von Blingin’ n’est pas sûre de la direction à prendre. La vie lui a jeté un défi : changer entièrement de monde pour arriver dans un endroit où les chevaux sont si primitifs. Rien à voir avec la sophistication de son monde d’origine. Recréer un atelier avec cette dernière information semble un challenge presque insurmontable. Certes, ses grands-parents l’ont fait. Mais ielles n’étaient pas seules et leur monde d’origine, s’ielles ne connaissaient pas encore les chevaux bijoutiers avaient déjà l’artisanat. Ici, rien de tout cela.
Et il y a cette histoire de démon.
Le monde d’origine d’Hildegard n’est pas sans ses prédateurs et sans ses conquérants, mais aucun cheval ne songerait à tuer son prochain en dehors de dispute particulièrement violente. Les chevaux d’ici semblent accepter que des démons peuvent les tuer sans remords.

Hildegard von Blingin’ a l’impression qu’un lourd cheval de trait s’est roulé sur son cerveau.

Hildegard souffle en se frottant la tempe contre l’un de ses antérieurs.
Cela fait pourtant une semaine qu’elle a quitté le troupeau étrange aux ruines et qu’elle est seule dans la forêt à ramasser ce qu’elle peut sur son passage, s’étant créé des petits tas au pied d’un arbre qu’elle rejoint chaque soir.
“ Tsk. “ rage presque silencieusement la licorne en observant ses trouvailles de la semaine. Elle y a passé beaucoup de temps et pourtant, le résultat est ridicule. Pas de quoi s’enchanter ou rêver d’un atelier dans un futur proche. L’automne donnant déjà sur l’hiver, elle n’a donc pas voulu récolter de sève (et elle n’a pas trouvé de pins de toute façon), ni de bois d’un cervidé et le bois qu’elle a pu récolter est de mauvaise qualité. Il n’y a donc aucun moyen qu’elle puisse faire des outils de la moindre qualité. Quand bien même : c’est un début. Et avec ces outils primitifs qu’elle va réaliser, elle sera équipée pauvrement, mais équipée.
Il lui faut trouver un endroit où installer un atelier et trouver les endroits où miner, rien ne dit qu’elle ne trouvera pas dans le futur des ramures ou d’autres choses utiles. Elle doit encore survivre à l’hiver, le printemps viendra bien assez vite et avec le printemps, elle pourra améliorer ses outils, récolter de la sève et faire des cordages en fibre de plantes. Des tâches énormes pour une jument solitaire, mais Hildegard est déterminée à se faire seule. Ce n’est pas à une jument de 15 ans qu’on va apprendre à se débrouiller ! La bijouterie, c’est son métier, elle a ça dans les veines.

Hildegard se laisse s’écrouler contre le tronc de l’arbre, au centre de ses tas.
Après une semaine à récolter et rassembler tout ça, il est temps de trier et créer des outils. Elle observe tour à tour son tas de bois, son tas de pierres et les quelques plantes sèches et souples qu’elle a pu trouver. Pour commencer, il lui faudra plusieurs pierres-couteaux, ainsi qu’un genre de marteau.

Patiemment, Hildegard trie son tas de cailloux. Par tailles, pour commencer, puis par nature de pierre, et enfin elle isole par forme quelques pierres qui lui semble concluantes pour devenir de future lame primitive. Elle n’a rien de fantastique en vue, juste d’avoir quelques pierres aiguisées qui lui permettront de couper des fibres ou plantes.
Elle isole également une pierre qui lui servira temporairement de marteau.
C’est un travail lent : Hildegard ne peut déplacer qu’un caillou à la fois avec la psychokinésie, mais c’est un travail de concentration qui lui avait manqué. Enfin, son esprit se calme et ignore le reste du monde. Elle n’a besoin de personne.

Patiemment elle burine les pierres pour les effriter, puis, tout aussi patiemment, les affiner contre une grosse pierre créant heure par heure des lames tranchantes. Enfin, tranchante. Hildegard grimace trois jours plus tard quand, en testant des lames contre son épaule cela ne la rase qu’à peine. Ce sont des lames de qualité remarquable pour de la pierre, mais lamentable pour une bijoutière habituée à plus de qualité.
En trois jours, Hildegard a créé trois lames.
Trois lames qu’elle teste et range dans le sac que Lully lui a confié.
Ce ne sont pas des outils de qualités, mais elle ne peut faire mieux.

Hildegard von Blingin’ aimerait créer un marteau et quelques burins, mais elle est affamée et fatiguée.
Non pas qu’elle n’ait pas mangé, fait des pauses ou dormi ces trois derniers jours, mais utilisé presque sans arrêt son pouvoir l’a épuisé.

Ainsi, Hildegard von Blingin’ passe deux journées à brouter et observer le monde autour d’elle.
Les prédateurs ne l’approchent pas, préférant la contourner dès qu’elle leur fait face prête à en découdre s’il le faut, assurée de sa victoire sur le monde et ses dangers. L’intimidation marche à merveille sur des animaux cherchant avant tout à survivre à l’hiver : Hildegard n’est pas un repas facile.
Les herbivores ne l’approchent pas plus. Cela est surtout dû au fait qu’Hildegard les observe, curieuse de voir s’ielles sont différent-e-s de celleux de son monde. Ce n’est pas le cas, mais ça n’empêche pas qu’Hildegard les suit du regard.

Après cette pause bien méritée, Hildegard von Blingin’ reprend son œuvre avec hardeur : elle n’en peut déjà plus de ce bois vide. Il y a peut-être des traces d’une verdure luxuriante qui hiverne, mais les bois ce n’a jamais été un endroit qu’Hildegard affectionne particulièrement.
Couché sous ce qu’elle pense désormais comme étant son arbre, Hildegard s’aide d’une de ses pierres-couteaux pour tailler le bois et se faire, au fil des jours, se créer des pieux ainsi un manche de marteau sur lequel elle ajuste une lourde pierre taillée.
Son sac est plein.
La pochette était petite.
Hildegard aimerait pouvoir transporter plus que cela, mais elle ne sait pas coudre ou travailler le cuir (si elle trouve la dépouille d’un animal) et l’automne n’est pas une saison idéale pour tresser des plantes. Fatiguée, elle se résigne donc à ce que, pour le moment, cela lui suffise.
Il lui faudra durcir les pieux à l’aide d’un feu.
Hildegard jauge la forêt. Un endroit imparfait pour en faire un, même s’il est vrai qu’il y a du bois en quantité.

Il manque bien des choses à Hildegard von Blingin’ pour se faire un atelier, même temporaire, mais elle est déjà heureuse d’avoir des débuts d’outils.
Elle est également fatiguée, mais cela fait bientôt deux semaines qu’elle vit au pied de cet arbre et elle a appauvri les alentours par sa longue présence. Il est l’heure pour Hildegard de repartir explorer.
Ainsi, Hildegard passe la mâtiné à brouter non loin de là avant de s’en aller sans un regard en arrière dans un trot aérien, au rythme du cliquettement de ses chaînes.